L’accès à l’eau potable et à l’assainissement des populations défavorisées, une véritable priorité

October 13, 2011|Other news items
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Par Xavier Chauvot De Beauchêne, Spécialiste senior en eau et assainissement

Le Maroc s’est doté depuis l’indépendance d’infrastructures et d’institutions solides pour assurer l’approvisionnement fiable et généralisé des populations urbaines en eau potable. La plupart des habitants des villes a accès à l’eau potable, avec des raccordements individuels et un service continu, affichant l'un des meilleurs services de la région. Toutefois, plus d’un million de personnes restent dépourvus d’accès aux services d’eau potable et d’assainissement aux portes des grandes villes marocaines. Dans le seul Grand Casablanca, on estime que 60.000 ménages, soit près de 500.000 habitants, n’ont pas accès aux services d’eau potable et d'assainissement.

Depuis 2005, l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a permis de reconnaître le besoin de santé publique des nouveaux quartiers périurbains en terme de raccordement au réseau d’alimentation en eau potable et à l’assainissement. Il a ainsi imprimé une dynamique forte en faveur de l’extension des services dans ces quartiers défavorisés urbains et périurbains, dont le caractère illégal empêchait leur inclusion systématique dans les périmètres de service des opérateurs. Cette dynamique imprimée par l’INDH a conduit à formaliser, dans le cadre de conventions fédérant l’administration, les élus, les autorités et les opérateurs, des programmes d’extension des services dans les quartiers défavorisés ciblés au titre de l’INDH et "maintenus en place" dans le cadre du programme Ville Sans Bidonville.

Au Maroc, les frais de raccordement à l’eau et à l’assainissement demandés aux ménages correspondent au coût réel d’extension des réseaux jusqu’à leur maison. Ces frais sont paradoxalement beaucoup plus élevés pour les populations défavorisées, du fait de leur éloignement des réseaux existants. Ils rendent l’accès aux services inabordables pour une écrasante majorité des ménages. L’INDH a permis de plafonner la contribution financière demandée aux ménages défavorisés pour accéder aux services d’eau et d’assainissement à des niveaux abordables, moyennant des facilités de paiements offertes par les opérateurs. Cependant, la différence entre la contribution plafonnée des ménages et le coute réel d’extension des services ne fait pas l’objet de financements publics dédiés. Il reste donc aux collectivités locales et territoriales, en partenariat avec l’opérateur, à mobiliser les fonds requis pour boucler le gap de financement des programmes de raccordement. En l’absence d’une aide publique pour combler systématiquement ce gap de financement, les programmes d’extension du service dans les quartiers défavorisés peinent à se généraliser.

Les pilotes OBA, une approche innovante pour faciliter le raccordement

À la demande du Gouvernement et de trois opérateurs, un don du GPOBA de 7 millions de dollars a été mobilisé début 2007 pour mettre en œuvre des projets pilotes d’Aide Basée sur les Résultats (en anglais Output-Based Aid – OBA) ou pilotes OBA. Ces pilotes visent à tester des mécanismes de subvention à l’opérateur liée au résultat ou subvention OBA visant à promouvoir l’extension des services d’eau potable et d’assainissement aux ménages situés dans des quartiers périurbains de Casablanca, Tanger et Meknès, ciblés au titre de l’INDH. Les résultats ("outputs") donnant droit à une subvention sont  i) le raccordement simultané à l’eau potable et à l’assainissement pour le cas de Casablanca et Tanger, et ii) le raccordement à l’un ou l’autre des services pour le cas de Meknès.

Les pilotes sont mis en œuvre par les opérateurs en place : LYDEC à Casablanca, la RADEM (Régie Autonome de Distribution d’Eau et d’Electricité de Meknès) à Meknès, et Amendis-Tanger à Tanger. Le Gouvernement assure le suivi de l’opération à travers la Direction des Régies et des Services Concédés du ministère de l’Intérieur et la Direction du Budget du ministère des Finances.

Le concept est simple. Les ménages bénéficiaires demandent le raccordement aux services et s’acquittent d’une contribution prédéfinie, qu’ils peuvent choisir de payer comptant ou mensuellement pendant 5 à 10 ans, selon les montants et modalités normalisés localement dans le cadre des conventions INDH. Les opérateurs s’engagent à minimiser le prix du raccordement et à préfinancer les investissements pour connecter les ménages en ayant fait la demande. Après vérification indépendante des raccordements fonctionnels, la subvention OBA est versée à l’opérateur. Le montant de la subvention OBA est défini à l’avance et vise à combler la différence entre la contribution demandée aux ménages et le prix optimisé du raccordement. Dans le cadre des pilotes, le niveau de contribution demandé aux ménages, et le niveau de subvention par type de raccordement varient par opérateur et par service, en fonction des contraintes techniques et des critères des communes.

Le ciblage des ménages défini par les pilotes est pragmatiquement géographique, tous les ménages vivant dans les quartiers INDH ciblés étant éligibles. Toutefois, des critères supplémentaires fondés sur les caractéristiques des logements ont parfois été élaborés pour affiner le ciblage en faveur des ménages les plus défavorisés. La subvention est décaissée à l’opérateur ayant préfinancé les investissements sur la base du raccordement constaté à l’eau et à l’assainissement de ménages éligibles. La subvention est décaissée en deux temps : 60 percent de la subvention unitaire après constat de la réalisation du raccordement et 40 percent après constat de service satisfaisant pendant six mois.

Les incitations inhérentes à cette approche visent à surmonter les obstacles traditionnels de l’extension du service dans ces quartiers périurbains, en particulier : i) le prix des raccordements inabordables ; ii) la difficulté pour les communes et les opérateurs à mobiliser des financements ; iii) les tracas techniques et administratifs de la pose de réseaux dans des quartiers informels ; et iv) la réticence des autorités centrales et locales à subventionner des programmes sans bonne visibilité financière ni garantie de résultat.

Des résultats probants

Après quatre ans de mise en œuvre, les résultats des pilotes OBA sont probants et l’expérience a été couronnée de succès. Les projets pilote ont en effet permis de raccorder 10.500 ménages à l’eau potable et plus de 9.000 au réseau d’assainissement, contribuant à améliorer le quotidien de plus de 50 000 personnes. Au-delà de ces résultats, un certain nombre d’enseignements peuvent être tirés de ces pilotes et des modalités de leur mise en œuvre. Le premier, et sans doute le plus important, est que les pilotes représentent un succès indéniable qui va bien au-delà du seul nombre de raccordements réalisés.

En effet, les trois opérateurs ont pleinement relevé le défi de cette approche. A travers des espaces clientèle dédiés ou des agences mobiles, les opérateurs se mobilisent pour accompagner les populations dans leurs formalités de demande de raccordement, facilitant ainsi grandement la tâche pour les habitants de ces quartiers, et instaurant une relation de confiance et de proximité. En retour, l’on observe quasiment pas de déconnection, des consommations supérieures aux prévisions et des taux de recouvrement des factures souvent bien au dessus de la moyenne de l’opérateur.

Grâce à une approche résolument tournée sur la demande des bénéficiaires, à l’incitation du paiement a posteriori et à une bonne répartition des risques et des responsabilités inhérents à la mise en œuvre des projets, les parties prenantes, opérateurs comme gouvernement, reconnaissent que l’approche OBA a permis de raccorder plus de ménages que ne l’aurait permis un financement classique dans les mêmes conditions.

La mise en œuvre des pilotes OBA a également permis de renforcer les partenariats locaux (opérateur, collectivité, autorités, INDH, agences urbaines ou associations), en responsabilisant chacune des parties impliquées pour surmonter les contraintes de l’extension des services dans le tissu périurbain informel.

Toutes les parties prenantes ont exprimé un intérêt pour la poursuite de l’approche OBA, afin de ne pas risquer de laisser s’essouffler cette approche au moment où chacun des opérateurs a atteint son plein potentiel et tandis que les besoins restent pressants. Le Gouvernement a exprimé son intérêt à valoriser l’approche OBA et envisage son introduction dans la mise en œuvre du plan national de rattrapage du déficit de desserte des quartiers périurbains défavorisés, demandé dans le cadre de la Commission Interministérielle de l’Eau de décembre 2008. Un projet de plan de rattrapage visant la résorption du déficit de desserte des quartiers périurbains défavorisés a été élaboré, avec le soutien de la Banque mondiale. Il doit désormais faire l’objet d’une validation formelle et d’allocation de moyens adaptés.

Un film documentaire pour valoriser l’expérience marocaine

Afin de mieux illustrer les enjeux et le succès des pilotes OBA, un film documentaire a été réalisé pour valoriser cette expérience pionnière au Maroc et dans la région. Voir la vidéo des pilotes OBA au Maroc.

Cet article fut publié à l'origine dans Manara, le Newsletter du Maghreb de la Banque mondiale.

1 - Global Partnership for Output Based Aid, ou Partenariat Mondial pour l’Aide Basée sur les Résultats, est un fonds fiduciaire administré par la Banque mondiale pour la démonstration de mécanismes de l’Aide Basée sur les Résultats.